Aller au contenu

Page:Braddon - Les Oiseaux de proie, 1874, tome II.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
LES OISEAUX DE PROIE

même, pendant qu’il suivait une des longues avenues des jardins de Kensington, où les arbres dépouillés de feuilles étendaient leurs maigres branches noires, sur lesquelles des corbeaux perchés faisaient entendre leurs cris les plus rauques.

Qu’aurait pu, en vérité, demander le pauvre bohème à la fortune, au delà des faveurs qu’elle lui avait accordées ? Il était le fiancé accepté de la plus belle des femmes qu’il eût jamais rencontrées, accueilli par ses parents, admis en sa présence, soumis seulement à une légère épreuve avant de pouvoir dire qu’elle était à lui. Que pouvait-il désirer de plus ? Quel nouveau bienfait pouvait-il attendre du Destin ?

Oui, il y avait encore une chose, une chose que Haukehurst avait à lui demander de plus, si reconnaissant qu’il fût de ses autres faveurs : c’était une excuse convenable pour se séparer complètement de Paget ; il éprouvait le désir de se plonger dans les eaux du Jourdain pour en sortir purifié, en abandonnant ses vêtements sur le point le plus éloigné du fleuve. Or, parmi toutes les choses qui appartenaient à son passé, la société du capitaine était celle dont il tenait le plus à se débarrasser.

« Soyez sûr que vos péchés sauront vous retrouver, se disait tout bas le jeune homme, et, une fois revenus, qu’ils s’attacheront à vous comme une sangsue, s’ils prennent la forme d’un gaillard aussi dépourvu de principes. Je puis faire tous mes efforts pour couper court au passé, mais Paget voudra-t-il me laisser tranquille à l’avenir ? J’en doute. Le génie de cet homme se montre surtout dans la faculté qu’il possède de vivre aux dépens d’autrui. Il sait que je gagne régulièrement quelque argent, et il a déjà commencé à m’en em-