Page:Brandes - L’École romantique en France, 1902, trad. Topin.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 150 —

volumes distincts, persuadé qu’il ferait là une bonne affaire. Cette idée, juste en elle-même, eut le sort de toutes les autres entreprises de Balzac : il y perdit son argent, pendant que d’autres s’y enrichissaient. Il en fut de même quand, pendant son séjour à Gênes, en 1837, il s’avisa que les anciens Romains étaient loin d’avoir épuisé les mines d’argent de la Sardaigne. Il communiqua son idée à un Génois et résolut de reprendre l’exploitation ; mais, lorsque, l’année suivante, dans un voyage fatigant en Sardaigne, il trouva ses suppositions confirmées et qu’il demanda à Turin l’autorisation de rouvrir les mines, le Génois l’avait depuis longtemps devancé et était en train de s’enrichir. Assurément beaucoup d’entreprises qui germèrent dans la tête de Balzac ne furent que des chimères ; mais, jusque dans ces chimères son génie se révèle. De même que Goethe était en communion si parfaite avec la nature que son œil poétique, en regardant par hasard un palmier, découvrait le secret de la métamorphose des plantes dans le type primitif de toutes les parties de la plante, de même qu’en observant un crâne de mouton à demi-brisé il y voyait le principe de l’anatomie philosophique, de même Balzac avait les yeux ouverts sur tout. Il avait le don que le peuple attribue aux chercheurs de trésors de pressentir où les richesses étaient cachées ; il possédait une baguette magique qui les découvrait toujours comme le héros sans nom et sans sexe de ses œuvres. Il ne parvint point pourtant à les exhumer il fut un grand magicien mais pas un homme d’affaires.

Son premier projet était aussi beau que vaste : il voulait être à la fois fondeur de caractères, imprimeur, libraire et auteur ; lui-même écrivait les introductions de ses éditions classiques et il était tout feu et tout flamme pour son entreprise. Mais, après qu’il eut décidé ses grands-parents à lui prêter une partie de leur fortune, qu’il eut, avec cet argent, fondé son imprimerie et publié de belles éditions illustrées de Molière et de La Fontaine, tous les libraires français se coalisèrent contre ce collègue