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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

« Le dimanche était mon seul moment de liberté. Je le passais dans une sorte de disposition animale tenant du sommeil et de la veille, sous un arbre. Quelquefois je me levais : un éclair énergique de la vie de liberté flambait à travers mon âme, suivi d’une lueur d’espoir qui disparaissait un instant après, et je retombais à terre en m’affligeant de la position misérable où je me trouvais. Parfois j’étais tenté de mettre un terme à ma vie, à celle de M. Covey ; mais un sentiment d’espoir et de crainte me retenait.

« Notre maison était à quelques pas de la baie de Chesapeak, dont la large poitrine resplendissait continuellement de voiles venant de toutes les parties de la terre. Ces beaux navires, dont l’aspect est ravissant pour les yeux de l’homme libre, étaient pour moi des fantômes couverts de leur linceul venus pour m’effrayer, me tourmenter de réflexions sur mon état si misérable ; souvent, dans le calme profond d’un dimanche d’été, je me suis tenu seul, debout, sur les bancs élevés de cette magnifique baie, le cœur pesant, les yeux pleins de larmes, regardant la multitude innombrable de voiles qui voguaient vers le grand Océan. Leur vue m’émotionnait profondément, ma pensée cherchait à s’exprimer, et, avec le Tout-Puissant pour unique auditeur, la douleur de mon âme s’exhalait à ma manière, rude, inculte, et je disais à ces navires : « Vous êtes débarrassés de vos câbles et libres : mes chaînes sont solides, et je suis esclave ! Vous vous balancez gaiement au vent, tandis que je suis excité au travail par le fouet sanglant ! Vous êtes les anges aux ailes rapides de la liberté ; vous parcourez le monde entier, et je suis retenu par des liens de fer ! Oh ! si j’étais libre ! si j’étais sur l’un de vos magnifiques ponts, sous votre aile