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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

compagné de sa femme et de ses enfants ; il retournait chez lui, venant de Washington, et contemplait avec moi ce beau spectacle.

Était-ce bien là le Mississipi, ce géant de la nature sauvage, que je m’étais figuré si violent, si troublé et si cruel ? Ses eaux avaient ici une fraîche teinte vert clair, et entouré du cadre splendide formé par les montagnes d’un bleu violet, on aurait dit qu’il était le miroir du ciel, portant dans ses bras des îles verdoyantes, abondamment couvertes de vignes. Le Mississipi, encore près de ses sources, était ici dans sa jeunesse et son état d’innocence ; des bandes de bateaux à vapeur ne troublaient point encore ses eaux (Ménomonie et un autre bateau de moindre dimension remontent seuls le fleuve à partir de Galena) ; aucune ville n’y jette son écume, il n’y a que des eaux pures, et sur leurs bords des tribus indigènes des forêts primitives. Plus tard, quand il se rapproche davantage du grand Océan, se mêle à la vie politique et devient homme d’État ; quand on l’oblige à porter douze cents bateaux à vapeur et je ne sais combien de milliers d’esquifs, de se donner aux villes, à leurs habitants ; quand il se marie avec le Missouri, alors il change, sa beauté et son innocence disparaissent.

Mais à présent, à présent il était beau. Toute cette soirée sur le Mississipi fut pour moi un enchantement.

La découverte de ce fleuve par les Européens a deux époques, et chacune d’elles offre une romance aussi différente l’une de l’autre que le jour et la nuit, que l’idylle éclairée par le soleil et la sombre tragédie, que le Mississipi dans sa jeunesse et le Mississipi au dessous de Saint-Louis, — quand il est Mississipi-Missouri. La première de ces époques appartient à sa partie septentrionale, l’autre au Sud ; la première a pour héros un prêtre plein de dou-