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DANS LE NOUVEAU-MONDE.

ses, j’ai remarqué plusieurs orchidées parasites pendues aux arbres, et un grand ceiba enlacé par son amante ennemie la yaguay-embra, qui le tue par son embrassement sauvage.

Du reste, cette plantation est en décadence depuis les deux derniers ouragans ; ils y ont causé une dévastation irréparable, et le choléra a emporté plus tard un grand nombre de nègres esclaves. « Dieu punit nos péchés, » dit le planteur avec une expression mélangée de repentir et de légèreté, en reconnaissant la justice de ce châtiment. C’était un homme âgé ayant les manières, la vivacité nerveuse française, et du reste un maître de maison poli. Je consentirais à être son hôte, mais non pas son esclave. Les chambres des esclaves, construites dans l’épaisseur d’un mur où d’un bâtiment, et très-basses, ne valaient guère mieux que nos sombres toits à pores. Il y avait aussi une infirmerie, grande pièce obscure garnie de quelques lits en planches, pas une couverture, pas un oreiller, pas un rayon de lumière. « Je suis, disait le planteur, le médecin des malades, je les saigne moi-même, » etc. Je n’ai pu m’empêcher de frémir en l’écoutant. Cette plantation m’a paru presque déserte. J’ai vu un vieux nègre, estropié et courbé par l’âge, se glisser devant nous d’un air humble et craintif ; à table nous fûmes servis par un petit noir très-vif, qui ne s’inquiétait pas le moins du monde des cris et des mouvements de colère de son maître.

Ce planteur a été très-riche, mais il a éprouvé dans ces derniers temps de grandes pertes qu’il supporte avec beaucoup de fermeté.

Matanzas est bâtie comme la Havane, mais elle a un esprit plus libre, plus gai, ses rues sont plus larges, quoique non pavées. La maison de M. Baley a deux étages et