Aller au contenu

Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
129
DANS LE NOUVEAU-MONDE.

avaient tous noué leur déjeuner autour de leur taille, dans une ceinture. Les Africains croient qu’en mourant ici ils renaîtront sur-le-champ à une vie nouvelle dans leur patrie. C’est pourquoi mainte femme esclave dépose sur le corps du suicidé un mouchoir de cou, celui qu’elle préfère, avec la croyance qu’il arrivera ainsi à ses parents dans la mère patrie et leur portera un souvenir de sa part. On a vu des cadavres d’esclaves couverts de centaines de ces mouchoirs !…

On dit ici : La sévérité seule convient avec les esclaves, le fouet doit être constamment levé sur eux, ce sont des ingrats. Lors du soulèvement de 1846, les maîtres les plus doux ont été massacrés des premiers avec leur famille, tandis que les maîtres sévères ont été portés par leurs esclaves dans les forêts, afin de les soustraire aux révoltés. « Pour être aimé des esclaves, il faut en être craint. » Je ne le crois pas, ce n’est point dans la nature humaine. Mais il y a une différence entre crainte et crainte : l’une n’exclut pas l’amour ; l’autre donne naissance à la haine, à la révolte.

Les esclaves de cette plantation ont généralement un air sombre, sinistre, travaillent dans les champs de cannes avec indifférence et semblent fatigués. Quand ils conduisent les chariots attelés de bœufs, je les vois souvent sucer des cannes à sucre, qu’ils paraissent beaucoup aimer et pouvoir prendre à leur gré ; c’est au moins un soulagement. Ils ne sont pas nourris ici avec du riz, mais principalement avec une racine appelée malanga, qui leur plaît. Son goût me semble désagréable ; on dirait une pomme de terre jaune, mais fade et un peu âcre. Chaque esclave reçoit à dîner une portion de ces racines cuites et les mange avec un morceau de viande salée. À déjeuner, on leur donne du maïs cuit, qu’ils pilent et mêlent avec