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Page:Bremer - La vie de famille dans le Nouveau-Monde vol 3.djvu/156

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LA VIE DE FAMILLE

principale beauté se trouve dans leurs grandes allées, surtout de palmiers ; je ne puis m’y promener sans y éprouver un sentiment de respect, une joie pleine d’humilité, tant elles me semblent belles et grandioses. Les jardins sont, en général, très-petits et mal soignés ; les champs de cannes empiètent sur tout le reste. La vie des femmes est peu gaie, peu active ; elles me paraissent souffrir de la position des plantations, où règne toujours la crainte, qui ne leur permet pas de développer la plus belle partie de leur activité, et entrave même leur marche ; elles n’osent point aller seules dans les environs, à cause des esclaves fugitifs. Malgré la beauté de Cuba, en fait d’arbres et de plantes, cette île manque cependant du charme principal de la vie champêtre, — lorsqu’on ne la considère pas seulement sous le point de vue des jouissances : — elle manque de gazon, de l’humble et doux gazon où des milliers de petites herbes, mousses et fleurs, se réunissent afin de préparer à l’homme un lit frais et moelleux sur lequel il puisse reposer, rêver, penser. Elle manque de ces bouquets de bois composés d’arbres et d’arbrisseaux à l’ombre desquels nous nous reposons avec tant de sécurité. Je m’aperçois que cet air de paradis, ces palmiers royaux ne remplacent point, pour les habitants de l’île, le charme sans prétentions de nos bosquets.

Ensuite, nous ne voyons pas autour de nous, à la campagne, des injustices, des misères auxquelles nous ne puissions apporter au moins un soulagement partiel. Plus une femme est noble de caractère à Cuba, plus elle doit être malheureuse. Fût-elle unie au meilleur des maris, disposé à tout faire pour elle et ses esclaves, cette femme ne pourrait pas fermer les yeux et les oreilles à ce qui se passe autour d’elle. Une plantation n’a jamais beaucoup d’éten-