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Page:Breton - Œuvres poétiques, 1887.djvu/158

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JEANNE

Dans une horrible et longue angoisse il attendit,
Se tordant, se trainant. Puis, son corps s’engourdit.
Dans une soif ardente, il appelle, il écoute
De lointains chariots, seuls, criaient sur la route.
Il se sent mieux, se lève et va jusqu’au sentier ;
Il trébuche et retombe au pied d’un églantier.
Un gros homme approchait, menant un attelage,
Étienne croit déjà regagner le village
Mais cet homme est un lâche infâme, c’est Thomas !
Il passe, il pousse un hue ! et s’éloigne à grands pas
Tout tremblant, excitant ses chevaux de h bride.
Et la face d’Ëtienne était sombre et livide ;
Ses membres roidissaient, par les crampes, crispés.
Des bûcherons toujours au bois sont occupés,
Dont Dieu veut qu’a cette heure un groupe s’en revienne
Ces hommes attendris au triste aspect d’Étienne,
Assemblant des rameaux dont ils font un brancard,
Emportent le mourant qui dit « Il est trop tard a

Le groupe, dans sa marche alentie et prudente,
Grave et seul, s’avançait dans la campagne ardente,
Point lugubre flottant dans un infini clair.

Un splendide soleil, irradiant dans l’air,
— On était en juillet — de ses flammes puissantes,
Déjà jetait de l’or aux moissons mûrissantes.
La Nature insensible aux transes des humains,
Pleine de tous ses dons, ouvrant ses larges mains,
Dans les miroitements sans fin de la lumière,
Accomplissant l’immense œuvre de la matière,
Sereine et souriant du sourire éternel,
N’avait point de souci de ce poison mortel
Et subtil, qui, partout, ravageait la contrée.
Les ramiers roucoulaient leur plainte enamourée.