Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/114

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D’ailleurs, si peu de temps qu’il eût effectivement passé au régiment et au ministère, il y avait amassé des trésors d’observations. Sa mémoire était peuplée de silhouettes qu’il allait élever, en les élargissant, à la dignité de types. Et les traits de mœurs qu’il avait notés allaient lui suggérer des scènes et des dialogues d’une incomparable force comique.

L’auteur de Boubouroche appartient à une pléiade à qui nous devons, depuis quelques années, une éclatante résurrection de la littérature bouffonne. Ce genre a toujours été cultivé dans notre pays. Sans remonter jusqu’à Rabelais, et pour n’envisager que ce siècle, on peut suivre la lignée des humoristes qui y ont brillé. Pigault-Lebrun, Paul de Kock, Henri Monnier, Eugène Chavette et Jules Moinaux sont, avec quelque divergence de détail, des esprits du même ordre, et qui considèrent la vie sous le même aspect, c’est-à-dire comme une farce dont il est légitime et louable de se divertir. Ils ne prennent au tragique aucun sentiment de l’âme humaine. Si, d’aventure, Pigault-Lebrun et Paul de Kock introduisent dans leurs livres un individu agité de passions violentes, ils en font un monomane ou un naïf ; ils ont soin de le rendre ridicule ; ou bien, ils en font un libertin ; ils considèrent l’amour comme on le comprenait au temps de Crébillon fils : ils le confondent avec la galanterie ; et d’ailleurs ils le dépouillent de toute délicatesse. Henri Monnier est peut-être moins superficiel ; mais ses