Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/155

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l’élite de l’esprit humain. Il fut élu « Prince de la jeunesse » par cent cinquante suffrages. M. Sully Prudhomme n’en obtint que douze, et son prestige fut gravement diminué par cet échec. Celui de M. Mallarmé rayonna d’un éclat prodigieux. Les grammairiens d’Europe et d’Amérique étudièrent ses vers, la loupe en main ; les obscurités qu’ils y rencontrèrent, au lieu de les rebuter, les remplirent d’admiration. C’est le propre des grands génies, de ne pas se laisser pénétrer du premier coup. M. Stéphane Mallarmé est assurément un grand génie, car il est impénétrable. Le vulgaire ne saurait aspirer à le comprendre. Il faut recourir, pour déchiffrer sa pensée, à la sagacité des artistes subtils, experts aux jeux de l’analyse et de l’exégèse. Et c’est pourquoi j’ai prêté l’oreille aux discours qui se sont tenus devant moi, et que je transcris exactement…

L’épicier de lettres, dans une intention perfide. Avez-vous lu le dernier sonnet de Stéphane Mallarmé, intitulé Tombeau et consacré à la louange de Verlaine ? Je suppose que ce morceau est élogieux. Mais je n’ose rien affirmer. Je me suis creusé la cervelle à en découvrir le sens…

Le symboliste, avec ironie. Votre cervelle n’a pas éclaté ?

L’épicier de lettres. Je me suis arrêté à temps.

Le symboliste. Et vous avez relu, pour vous remettre, la Grève des forgerons ?