Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/18

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une justice ; une société et des mœurs. Le ruban rouge leur représentait tout cela. Leur vie, à présent, avait un but. » Napoléon disparut. Son œuvre ne mourut pas. Elle est plus que jamais vivace. Les croix continuent de pleuvoir. Sur quelles poitrines tombent-elles ? Ici, M. Bergerat devient lyrique ; il fouaille à revers de bras ; il se hausse au ton de Juvénal. Écoutez-le : « Un bon chef d’État s’inquiétera moins de savoir pourquoi un citoyen est décoré que d’apprendre pourquoi un autre ne l’est pas encore. » Et quelles conditions met-il à cette faveur ? Caliban les énumère. Il passe sous silence le mérite ; il n’admet pas que ce motif puisse entrer en ligne. L’âge, à la bonne heure ! « On est décoré pour cause de maturité. La France vous félicite d’avoir passé la quarantaine. On dirait qu’elle vous en indemnise… » D’autres titres ont leur importance, que le pamphlétaire dénombre complaisamment. Un rond de cuir est décoré pour sa patience. Il a souffert. Un Français ne doit pas souffrir. « Ah ! les belles mœurs ! L’un des titres irrésistibles à la décoration, c’est de l’avoir demandée plusieurs fois sans l’obtenir. » Et M. Bergerat conclut par cette phrase charmante, où sa pensée se résume : « Demander la Légion d’honneur au gouvernement, c’est une politesse à lui faire… »

Je sais bien que ces plaisanteries ne sont pas neuves, et que M. Bergerat n’est pas le premier qui les ait couchées sur le papier. Il en a renouvelé la