Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/183

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chels : il fit avec eux son tour de France ; il coucha à la belle étoile ; il monta dans une roulotte que traînait un cheval poussif ; il campa sur la lisière des bois, au bord des rivières, il mangea d’étranges fricots, préparés par les mains noires des Bohémiennes et fut sérieusement épris de Miarka « la fille à l’Ourse ». Et à voir ce beau gars, aux cheveux crépus, au teint basané, qui s’exhibait dans les champs de foire et se mesurait avec les athlètes, nul n’aurait supposé que ce fût un jeune homme distingué, brillant latiniste et lauréat du concours général. Lorsqu’il vint s’installer à Paris, dans le quartier des Écoles, il y conserva ces allures pittoresques auxquelles il dut, autant qu’à ses œuvres, sa prompte célébrité. Sur lui coururent mille légendes qu’il est superflu de rappeler. Il se promenait par les rues, vêtu de costumes étroitement ajustés, et où dominaient la pourpre, l’or et l’indigo. À son plastron de chemise étincelait un énorme rubis qui excitait l’admiration des femmes et leur convoitise. Mais l’une d’elles s’en étant emparé et l’ayant laissé tomber par mégarde, il se brisa. Ce joyaux n’était qu’un morceau de verre !

Vraies ou fausses (et beaucoup d’entre elles sont apocryphes), ces historiettes peignent assez exactement la physionomie qu’avait alors le poète. De temps à autre il était pris d’une sorte de frénésie de vagabondage. Il disparaissait ; il allait devant lui jusqu’à ce qu’il eût dépensé son dernier sou ; et sou-