Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/288

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d’ores et déjà, le Petit Odéon. Antoine contractait envers le chroniqueur-poète une dette de reconnaissance dont il s’acquitta plus tard en donnant l’hospitalité au Capitaine Fracasse.

Je ne suivrai pas tous les errements du Théâtre-Libre. Ceci m’entraînerait trop loin. On sait l’importance considérable qu’il a prise. Pendant cinq ou six ans, il a été le foyer où s’est renouvelée notre littérature dramatique. Il a produit peu d’ouvrages parfaits ; il en a peu révélé d’indifférents. Réellement, les auteurs, qu’il a groupés, avaient à dire quelque chose de nouveau ; leurs paroles ne ressemblaient pas exactement à celles que nous avions coutume d’entendre. Ils avaient une autre façon de concevoir la vie, d’exprimer leurs idées et leurs sentiments. Cette amertume dans l’observation, cette brutalité qui allait jusqu’au cynisme, secouèrent violemment le public. Il n’en fut pas rebuté. Il y goûta même du plaisir ; et sans doute, dans ses applaudissements, il entrait bien un certain parti pris d’engouement et de paradoxe. Ces spectateurs, qui appartenaient aux classes privilégiées de la société, éprouvaient une joie délicieuse à voir bafouer leurs préjugés les plus chers, à écouter des doctrines subversives que, partout ailleurs, ils eussent repoussées avec la plus véhémente indignation. Enfin, l’extrême vivacité des peintures qu’on leur servait chatouillait leurs sens blasés et excitait en eux des curiosités malaisées à définir. Mais cela n’eût pas suffi à expliquer la vogue prolongée du