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Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/31

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sont les seuls à ne pas la voir : « L’homme-plante se cramponne pour prolonger son rôle. Mes fleurs étaient belles, mes fruits étaient bons, pourquoi ne le seraient-ils pas toujours ? Misérables discussions avec son orgueil et son intérêt dont je ne veux pas pour moi ! Misérable esclavage qui ne sera pas le mien, car j’entends finir libre comme j’ai vécu, sans faiblesses ni compromissions avec moi-même. » Ainsi parle M. Hector Malot. Ainsi parle la sagesse. Il ajoute, non sans fierté :

« En quoi l’artiste, son œuvre accomplie, fait-il acte méritoire en mourant la plume ou le pinceau à la main, au lieu de s’arrêter dans une production qui n’a plus d’autre but que d’exploiter un nom auquel les années ont donné une valeur commerciale, alors que cette exploitation n’est indispensable ni à sa vie matérielle ni à celle de sa famille ? N’y a-t-il pas là une obstination sénile et aussi une âpreté de gain qui ni l’une ni l’autre ne méritent l’éloge ? Ce n’est pas la plume à la main que ceux-là meurent, c’est l’argent à la main. » Ce n’est point là une vaine déclamation. Le romancier a conformé ses actes à ses paroles. Quelques semaines avant sa retraite, il reçut du directeur d’un grand journal populaire une alléchante proposition. On lui offrait cinquante mille francs pour un feuilleton de vingt mille lignes. Or, vingt mille lignes sont un jeu d’enfant pour la fécondité de M. Hector Malot. Il eut le courage de résister à la tentation. « J’ai dit que je partais… Je pars ! ».