Page:Brisson - Pointes sèches, 1898.djvu/99

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regarda sans frayeur ces rues populeuses, ce ciel brumeux, hostile aux nouveaux venus : « À nous deux, Paris ! » Il se dirigea d’instinct vers le boulevard des Italiens ; et comme il passait devant le perron de Tortoni, brillamment illuminé, une voix intérieure lui cria : « Ce sera là ton domaine ! »

À ce moment, aux environs de 1850, une évolution se dessinait chez les jeunes gens. En littérature, ils sortaient du mouvement romantique et y étaient encore à demi plongés. En politique, ils s’étaient nourris d’un certain idéalisme humanitaire et sentimental, et ils éprouvaient comme un mystérieux besoin de réagir contre ces doctrines et ces tendances. Chaque génération s’insurge contre la génération qui est venue avant elle ; et ces revirements sont la condition même du progrès, puisqu’ils donnent une direction et une impulsion nouvelle au mouvement des idées. Aurélien Scholl tombait en pleine insurrection. Les poètes, las d’épancher leur enthousiasme, jetaient les fondements du Parnasse, qui proscrivait l’émotion et prescrivait le culte de la rime millionnaire. Les romanciers délaissaient l’imagination pour l’étude de la vie et s’efforçaient d’être « scientifiques ». Les dramaturges s’intéressaient aux questions sociales, et déjà l’on voyait poindre les pièces à thèses. Ceux qui n’étaient tout à fait ni des romanciers, ni des dramaturges, ni des poètes, se jetaient à corps perdu dans le journalisme et le transformaient. Ils y étaient aidés par les circon-