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HISTOIRES POÉTIQUES

Tout à coup éclatait, menaçante et jalouse !…
Ou peut-être la voix de celles qui l’aimaient
En vain, et devant qui les portes se fermaient.
Donc, le bon jardinier se remit à l’ouvrage,
Tâchant, grâce au travail, de reprendre courage ;
Sarclant, bêchant toujours ; toujours la serpe en main,
Pour émonder la vigne ou tailler le jasmin ;
Sans relâche il allait de la serre aux charmilles,
Fléau des limaçons, destructeur des chenilles,
S’oubliant tout le jour, et réjoui le soir
De voir ses belles fleurs briller sous l’arrosoir.
Pourtant il se disait, ce cœur simple et fidèle :
« Quoi ! toujours seul ici ! De qui donc parlait-elle ? »

III

Or, Geneviève un soir rentra dans le jardin,
Et, la voyant, le veuf en tressaillit soudain :
Un vieillard, son aïeul, qui d’une âme aumônière
Recueillit, pauvre enfant, la morte en sa chaumière,
Un vieillard la suivait… Si tard, dans quel dessein ?
Nulle voix dans l’enclos ne troubla Joasin ;
La clef tourna sans bruit ; sous son toit de ramure
Le linot, s’éveillant, reprit son gai murmure ;
D’eux-mêmes dans l’air pur frissonnaient les lilas ;
On vit la mouche à miel reboire au chasselas,
L’eau du puits bouillonner comme par un prodige,
Et les fleurs qui dormaient s’entr’ouvrir sur leur tige.
Harmonieux accords ! Le jardinier comprit.
Le calme d’alentour entra dans son esprit.