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Et là, dès le matin, assis sur le gazon.
Je regardai longtemps notre ancienne maison.
« Au-devant de la vie allons avec courage,
M’écriai-je ; acceptons les devoirs d’un autre âge ;
Que l’enfant devienne homme et marche à l’avenir ;
Mais de ce long trajet sachons nous souvenir :
Celui-là vit deux fois de qui l’âme naïve
Des âges tour à tour garde une empreinte vive,
Et sous ses blancs cheveux, dans sa voix, son regard,
Montre à la fois l’enfant, l’homme mûr, le vieillard.
Ainsi puissé-je vivre et, depuis mon enfance,
Joindre l’âge qui fuit à l’âge qui s’avance,
Dans ma pensée unir ma tombe à mon berceau,
Sans qu’à toute la chaîne il manque un seul anneau !
Quel vieillard désolé, qui, fouillant dans son âme,
La croyait pour jamais éteinte à toute flamme,
Bien loin dans sa jeunesse enfin n’a retrouve
Un reste de chaleur sous la cendre couvé ;
D’une ancienne amitié quelque vive parcelle ;
Un amour tiède encore ; et de leur étincelle
N’a senti s’animer un sang stérile et vieux,
Et des éclairs de joie illuminer ses yeux ? »
 
Moi-même, à ces pensers sentant ma force accrue,
Du collège en courant je pris l’étroite rue ;
Et bientôt j’entendais les chansons du portier
Et l’affreux grincement des dents de son métier,
Lorsque au bruit de mes pas quelqu’un poussa la grille,
Et je fus entouré de toute la famille.
Dans la loge, parmi ces gens gais et dispos,
Ce furent entre nous bien des joyeux propos ;
Pourtant j’étais pensif, car midi sonnait l’heure