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III

C’est le grand ennemi ! Pour aplanir sa voie,
Men-hîrs longtemps debout, chênes, vous tomberez
L’ingénieur vous marque et l’ouvrier vous broie :
Tombez aussi, tombez, ô cloîtres vénérés !
 
L’artiste couperait ses deux mains, nobles pierres,
Avant de mutiler ce qu’on ne refait pas ;
Mais cloîtres et donjons, autels, sont des carrières
Pour ces froids constructeurs qui n’ont que leur compas.
 
De la tombe d’Arthur ils feraient une borne !
Ils n’ont plus de patrie, et l’argent est leur dieu ;
L’usine leur sourit, — enfer d’un peuple morne,
Hébété par le bruit, desséché par le feu.

Adieu les vieilles mœurs, grâces de la chaumière.
Et l’idiome saint par le barde chanté,
Le costume brillant qui fait l’âme plus fière…
— L’utile a pour jamais exilé la beauté.

Terre, donne aujourd’hui tout ce que tu peux rendre !
Le laboureur n’est plus un ami, c’est un roi ;
Sous l’ombrage en rêveur il n’ira plus s’étendre :
Le pur amour des champs, on ne l’a plus en soi.
 
Bientôt ils descendront dans les places des villes,
Ceux qui sur les coteaux chantaient, gais chevriers,
Vendant leurs libres mains à des travaux serviles,
Villageois enlaidis vêtus en ouvriers…