Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/127

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Je voudrais la remplir de ce qui peut toucher !
Oui, l’ermite vivant d’herbes et de racines,
Un vieillard tout perclus et qui tombe en ruines,
Un pauvre prisonnier muré dans son cachot,
Anna, muré sous terre et marqué d’un fer chaud,
Tous les tourments, voilà mon image fidèle.
Un peintre, hélas ! devrait me prendre pour modèle.
Si je connaissais l’art de mêler les couleurs,
Je ferais de moi-même un portrait de douleurs. »
Cela dit, l’écolier descend avec mystère
Son escalier, et sort sans bruit du presbytère.
 
Mais chez maître Ti-Meûr, l’aubergiste du lieu.
Croyez-vous que ces gens soient là pour prier Dieu ?
Nenni. Sur le bahut fume un bon plat de tripes.
Ceux qui n’y peuvent mordre ont allumé leurs pipes.
Mais le cidre surtout, ils ne l’épargnent point :
Tant qu’à coups de balai, de quenouille et de poing,
La servante les chasse, et déjà l’on s’assomme,
Lorsqu’au seuil de l’auberge arrive le jeune homme.
« C’est Daûlaz, le savant ! Que cherche-t-il ici ?
— Le saunier du Croisic, répond-il. — Me voici.
— Eh bien, l’ami, sortons !… Doussall, sans paix ni trêve
De Vanne à Saint-Malô, de l’une à l’autre grève
Vous courez les chemins : prenez donc ce billet ;
Et sur vos sacs de sel, sur votre noir mulet.
Si vous voyez, passant à pied dans la campagne.
Une fille modeste et qu’un prêtre accompagne.
Donnez-lui ce papier, mais sans dire mon nom :
Peut-être en l’apprenant elle répondrait : « Non ! »
Cherchez bien mes amis ; qui sait dans quelle lande
Demain voyageront ceux que mon cœur demande ? »