Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/152

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Il ne les piqua point avec son aiguillon,
Mais se signa lui-même avec dévotion,
Assuré que l’Esprit qui leur barrait la route
S’enfuirait en voyant le signe qu’il redoute.
 
Ainsi dans le brouillard, au son lointain du glas,
S’avançait le cercueil, traversant pas à pas
Les marais, les coteaux, et cette lande verte
Dont la plaine de Scaer vers le sud est couverte ;
Et la cloche du bourg disait toujours : « Va-t’en !
Corps mort, va-t’en vers Dieu ! corps mort, Jésus t’attend ! »
 
À présent, éclatez, sanglots ! Douleur amère,
Inonde de ton fiel ces filles et leur mère !
Toi, Jésus, couvre-les de tes signes de croix !
Au bord de cette fosse, à genoux toutes trois,
À genoux sur la terre, elles y voient descendre
Celui qui ne sera bientôt qu’un peu de cendre.
Larmes d’affliction, oh ! coulez de leurs yeux ;
Et du fond de leur cœur sortez, derniers adieux !
« Hélas ! vous nous quittez (disait Guenn sur la bière,
Tandis que le clergé chantait l’hymne dernière) !
Vos prés, votre courtil plein de ruches à miel,
Votre bonne maison, vous quittez tout, Hoël !
Las, hélas ! vous laissez sans chef votre famille !
Entendez-vous les cris d’Hélène, votre fille ?
De votre Anna, qui tord ses mains de désespoir ?
Et Nannic, qui se penche en pleurant pour vous voir ?

— Mon père ! mon bon père ! — Oui, pauvres orphelines,
Appclez-le bien fort ! épuisez vos poitrines !
Forcez-le de rouvrir ses deux yeux au soleil.
Ah ! s’il avait besoin, tant besoin de sommeil,