Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je sais, je sais, dit-elle, où vous allez ainsi !
Vous connaissez les lieux, quoique nés loin d’ici.
Pourtant, ne fuyez point les avis d’une vieille :
Tous les saints à la voix du pauvre ouvrent l’oreille.
N’est-ce pas, jeunes gens, vous êtes deux amis ?
Mais peut-être avez-vous aussi des ennemis ?
— Oui-da, cria l’un d’eux (c’était un réfractaire),
Et tout un bataillon ! — Chut ! fit avec mystère
Le second — Mes enfants, je l’aurais deviné ;
Car vers vous deux mon cœur dès l’abord s’est tourné.
Qui n’a ses ennemis ? Contre eux usons d’adresse.
Vous voyez : je ne suis, hélas ! qu’une pauvresse ;
Mais sans de longs procès, et sans armes, je puis
Mettre par mon savoir un terme à vos ennuis.
Trois Ave seulement, et certaine prière,
Tous ceux que vous craignez s’étendront dans leur bière. »
Elle est folle, pensa le sage clerc Daûlaz…
« Mère, mon compagnon et moi nous sommes las ;
Nous n’allons point chercher la haine et la vengeance.
Mais de l’âme et du corps ce soir quelque allégeance. »
 
Puis il poussa du pied la porte aux gonds rouilles ;
Et tous deux, sur le sol humide agenouillés.
Pour leurs parents, pour eux, pour leurs ennemis même,
Ils prièrent, fermant la bouche à tout blasphème…
Ô jeunes gens ! c’est bien : la haine, air malfaisant,
Sur l’esprit qui l’exhale en orage descend ;
Mais les larmes d’amour, dans le ciel condensées,
Sur les cœurs doux et purs retombent en rosées.
Votre sort changera.

Toute à son noir projet,
Comme une chienne au seuil, la vieille n’en bougeait.