Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/54

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Or, son hôte Mor-Vran, qui l’aimait comme un fils,
Vit ses pas sur la grive et les avait suivis :
« Çà, dit le vieux marin, qu’est-ce donc ? À votre âge
Tous mes jours se levaient, se couchaient sans nuage.
Ma fille s’inquiète. Elle m’a dit hier :
« Cet étranger s’ennuie ; emmenez-le sur mer ! »
Que vous semble, Daûlaz ? Vous voyez cette zone.
L’isthme de Kiberon couvert de sable jaune :
Nous raserons ses bords ; vous verrez en passant
Se dresser des rochers jadis rouges de sang ;
Puis, louvoyant au loin, si la mer est facile,
Chez mes anciens amis nous irons d’île en île.
C’est tout un monde à voir, car, dans le Mor-Bihan,
On compte autant d’îlots qu’il est de jours dans l’an.
— Eh bien, partons, Mor-Vran, dit le clerc de Cornouaille,
Et que mon âme en deuil sur la vague tressaille !
Où vous irez j’irai, sans demander pourquoi.
Si je vous ai sauvé, vous-même sauvez-moi. »
11 disait, et déjà, voyant tout proche un groupe
De pêcheurs, le marin hélait une chaloupe.
 
Une chaîne d’îlots ou de roches à pic
De Saint-Malo s’étend jusqu’à l’île d’Hœdic ;
Îles durant six mois s’enveloppant de brume.
De tourbillons de sable et de flocons d’écume.
Des chênes autrefois les couvrirent, dit-on ;
Chaque foyer n’a plus qu’un feu de goëmon.
Parfois, derrière un mur où vivait un ermite
Dont le vent a détruit la cellule bénite.
Derrière un mur s’élève un figuier pâle et vieux.
Arbre cher aux enfants, seul plaisir de leurs yeux,
La tristesse est partout sur ces îles sauvages,