Page:Brizeux - Œuvres, Les Bretons, Lemerre.djvu/62

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Les animaux étaient plus heureux et plus forts ;
Car tous avaient leurs saints, leurs protecteurs, leurs fêtes ;
Tous vivaient confiants, les hommes et les bêtes ;
Et les jours de Pardon, m’assurait mon aïeul,
Lorsqu’on n’y menait pas son bœuf, il venait seul. »
Aux plaintes du vieillard, à son étrange histoire,
Un sourire muet courut dans l’auditoire ;
Pourtant le sage clerc du pays de Kerné
Reprit : « Tout va de même aux lieux où je suis né ;
Tout s’efface ; et l’ennui se glisse au cœur des hommes :
Mes amis, croyez-moi, restons ce que nous sommes. »
Puis, embrassant son hôte, auquel il dit adieu,
Dans l’église il entra pour demander à Dieu
La grâce d’achever dignement son voyage :
Il sentait son corps faible, et faible son courage.
 
Le vieillard poursuivit : « Hélas ! j’ai donc raison,
Et c’est d’un Cornouaillais que nous vient la leçon !
Oui, nous oublions tout, jusqu’au saint de nos pères
Qui faisait leur bétail et leurs maisons prospères !
NIous sommes des ingrats ; or lui ne l’était pas.
Quand des soldats païens poursuivaient son trépas,
Il sut bien, grâce aux bœufs qui traînaint sa charrette,
Au bord de cette mer trouver une retraite,
Car ces rangs de men-hîr sont les soldats maudits ;
Mais ses bœufs, il les fit entrer en paradis. »

Alors un étranger : « Vos pères et leurs prêtres
Eux-mêmes n’ont-ils pas oublié leurs ancêtres ?
Dans le champ où ses bœufs ont tracé leur sentier,
Le char de Cornéli passa-t-il le premier ?
Hu-Cadarn est-il donc mort dans votre mémoire ?