Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/161

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D’un ton moitié riant et moitié sérieux
Ainsi nous conversions, et par instants mes yeux,
De peur d’inquiéter l’innocente rameuse,
Suivaient dans ses détours la côte âpre et brumeuse ;
Ou, pensif, j’écoutais les turbulentes voix
De la mer, qui, grondant, s’agitant à la fois,
Semblait loin de l’Odet gémir comme une amante,
Et vers son fleuve aimé s’avançait bouillonnante.

Mais devant Benn-Odet nous étions arrivés :
Là nos heureux projets, en chemins soulevés,
Moururent sur le bord. Dans un creux des montagnes
Nous débarquons. La vieille, emmenant ses compagnes,
Me dit un brusque adieu ; puis, avec son panier,
Je vis Tina se perdre au détour d’un sentier.

Fallait-il m’éloigner, ou fallait-il la suivre ?
Comment, ô destinée, interpréter ton livre ?
Quand faut-il écouter ou combattre son cœur ?
A quel point la raison devient-elle une erreur ?
Doutes, demi-regrets, souvenirs d’un beau rêve,
Qui jusqu’à Loc-Tûdi me suivaient sur la grève !
Surtout, retours à vous, qui, là-bas, au Moustoir,
Portez le nom d’un autre et n’aimez qu’à le voir !
Et ces divers pensers de tout lieu, de tout âge,
L’un par l’autre attirés, m’escortaient en voyage,
Plus mouvants que le sable où s’enfonçaient mes pas,
Que les flots près de moi brisés avec fracas,
Ou que les goélands fuyant à mon approche
Et que je retrouvais toujours de roche en roche.