Page:Brizeux - Œuvres, Marie, Lemerre.djvu/51

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menter l’œuvre de Brizeux, et, sans rien surfaire, je montrerais, sous la rustique épopée, toute une philosophie morale. Le peintre et le poète, le moraliste el l’érudit ont travaillé ensemble à ces familières idylles. Tant de soins, de conceptions sérieuses, de combinaisons magistrales, pour un résultat si simple en apparence, voilà l’exquise originalité de ce poème.

Je n’en citerai qu’un chant, trop peu remarqué peut-être, et qui montre bien avec quel art souple, et aussi avec quelle piété nationale, Brizeux résumait en quelques pages les recherches de l’érudit el les observations du voyageur. Nous sommes à Carnac, auprès des mystérieux men-hir ; c’est la fête du saint évéque Cornéli, un des saints bretons les plus chers au poète, un saint que Virgile aurait invoqué avec amour, saint Cornéli, patron des bœufs :

 
Aujourd’hui, Cornéli, c’est votre jour de fête ;
Votre crosse à la main et votre mitre en tête,
Des hommes de Carnac vous écoutez les vœux.
Majestueusement debout entre deux bœufs.
Bon patron des bestiaux !…

Mais si les hommes de Carnac lui adressent leurs vœux, les bestiaux ne viennent plus défiler devant lui comme autrefois ; c’est un vieillard du pays qui en fait la remarque. Dans son enfance encore, il a vu cette coutume antique fidèlement observée ; maintenant tout s’en va, les usages se perdent, les prêtres eux-mêmes sont d’accord avec les cœurs sans foi pour abolir les traditions du pays. Il faut l’entendre, le vieux Celte, lorsqu’il accuse ainsi et les prêtres el les générations qu’ils ont formées : « Dans l’ancien temps, les animaux avaient leurs saints, leurs protecteurs : saint Cornéli aimait les bœufs, saint Éloi protégeait les chevaux, saint Hervé les défendait contre les loups ; hommes et bêtes, tous étaient vieilleurs el plus forts, car tous vivaient confiants, et si le jour de fête de saint Cornéli un paysan du canton n’eût pas amené son bœuf devant l’autel de Carnac, le bœuf y serait venu seul. Aujourd’hui nous avons appris l’ingratitude à nos bestiaux. Ce n’était pas un ingrat, lui. Savez vous son histoire ? Poursuivi par