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NOTICE

Il avait beaucoup lu, sans trop de méthode, un peu à la façon de La Fontaine. Il possédait comme lui les poètes du Nord et du Midi, ceux du Midi surtout. Bien qu’il ait ardemment aimé Shakespeare, Byron, les lakistes, et qu’il ait goûté avec finesse les complications savantes de Gœthe, il revenait toujours cependant à la tradition grecque et latine, aux chantres des pays du soleil, et avec la libre allure de sa critique il leur associait les poètes orientaux, les sages persans, les mystiques hindous, se rappelant, il l’a dit plus d’une fois, que sa race celtique était fille de l’Asie. Il rimait la Sâvitri du Mâhâbhârata autant que la Nausicaa de l’Odyssée.

Son invention était ardente aussi et beaucoup plus variée qu’on ne l’a cru. S’il achevait ses moindres œuvres avec lenteur, les retouchant sans cesse, amoureux de l’ensemble et de chaque contour, sa conversation était pleine d’idées, de plans, qu’il traçait tout à coup et avec fougue. Plus d’un écrivain lui a dû des inspirations fécondes. Le théâtre, où il avait débuté avant de se connaître lui-même, le tentait de nouveau dans sa maturité. Le roman ne l’attirait pas moins, et, s’il n’avait été dévoué à la poésie pure, on devine tout ce qu’il y aurait mis de finesse, d’élévation morale, de délicates études psychologiques. Je trouve dans ses papiers des notes très curieuses, très nombreuses, pour un roman intitulé Valentin, qui aurait été le résumé de son expérience et de sa philosophie. Les vers du Livre des Conseils, où il recommande si bien l’harmonie de nos facultés, l’alliance des contraires, l’équilibre en toute chose, car la vie est un art, eussent servi d’épigraphe à cette histoire. « Je veux, dit-il, conduire mon héros jusqu’à cet état de sérénité et de force, où l’âme est sui compos. Il n’y arrivera qu’après de dures épreuves. Avant qu’il se résigne en sage, on entendra ses cris… Que ce soit un livre fortifiant et sain, le contraire de René, d’Adolphe, etc., sans que cette prétention soit affichée ! Sui compos, voilà le but de ce livre. » Au milieu des détails, des indications de caractères, il y a çà et là des jugements très fins sur les principaux romans psychologiques de notre siècle. Citons encore une ligne qui explique l’intérêt de ces notes : « Il faut que cette étude contienne mon esthétique, ma