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XIII

LA THÉORIE DU PLAISIR
D’APRÈS ÉPICURE
[1]


I

Tous ceux qui ont étudié avec quelque attention la morale d’Épicure savent que si le philosophe définit le souverain Bien par le plaisir, il donne à ce mot une signification très particulière, qui n’est pas celle de la langue usuelle et de l’opinion commune. Mais quelle est exactement cette signification ?

Quelle idée Épicure s’est-il faite du plaisir ? C’est ici que commence la difficulté. La plupart des historiens, à l’exception peut-être du seul Guyau[2], admettent que selon Épicure le plaisir se réduit à l’absence de douleur : « indolentia » — « nihil dolere », ce que nous appellerions un état purement négatif, et il faut convenir que les textes qui justifient cette interprétation sont très nombreux et confirmés par le témoignage même du Maître, lorsqu’il dit : « La limite de

  1. F. C. S. Schiller, Sur la conception de l’ἐνέργεια ἀκινησίας ; (Bibl. du Congrès Intern. de Philosophie, t. IV), Paris, Colin, 1902. — Cf. Guyau, La Morale d’Épicure, Paris, G. Baillière, 1878. — Usener, Epicurea. Leipzig, 1887. — Natorp, Die Ethika des Demokritos, Marburg, 1878.
  2. Guyau a bien vu (Morale d’Épicure, p. 55-56) que le plaisir tel que l’a conçu Épicure ne saurait être purement négatif et qu’il ne se réduit pas à l’absence de douleur. Il a bien montré aussi que le plaisir a pour condition l’équilibre corporel. Mais il ne semble pas qu’il ait suffisamment justifié ses assertions sur ce point ; il a entrevu ou deviné le vrai sens de l’Épicurisme, il n’a pas donné de sa thèse une démonstration rigoureuse.