Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/398

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agissante. Il ne paraît pas se douter qu’en introduisant ces deux idées nouvelles dans la définition de Dieu, il transforme radicalement la conception des Anciens. Sans doute ce Dieu n’est pas à ses yeux une force aveugle et brutale, l’intelligence et l’âme sont ses premières manifestations, et par là le philosophe concilie la conception juive avec celle des Grecs, mais il reste fidèle pour l’essentiel à la première de ces deux idées. Son premier principe est avant tout une cause efficiente et antécédente. Bien que notre esprit ne puisse s’élever jusqu’à elle, qu’elle soit ineffable et qu’on ne puisse, strictement parlant, lui donner aucun attribut, le mot par lequel il la désigne le plus souvent est celui d’énergie ou d’acte, et ces mots n’ont plus pour lui le sens qu’ils avaient dans la philosophie d’Aristote. Malgré les efforts qu’il fait pour rester fidèle à la conception générale des Grecs et définir l’intelligence et l’âme comme donnant la forme à toutes les existences particulières, l’idée de finalité est absente de son œuvre.

Il ne semble pas que Spinoza ait jamais eu connaissance directement de la doctrine de Plotin ; mais les idées du penseur alexandrin ont été conservées dans toute son école ; elles s’étaient imposées à la pensée grecque, et, si on fait abstraction de quelques détails, elles ne furent pas modifiées en ce qu’elles avaient d’essentiel par la longue série de philosophes juifs ou arabes qui les transmirent en Occident. Parmi eux se trouvaient les maîtres que Spinoza a certainement lus, un Chasdaï Crescas, sans compter Giordano Bruno ou Léon l’Hébreu. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail de cette filiation historique ni mesurer exactement l’influence que le penseur grec a exercée sur l’auteur de l’Éthique. Mais ce qui est certain, c’est que la conception spinoziste de la divinité présente avec celle de Plotin les plus remarquables analogies. Spinoza lui même, lorsqu’il cite, pour l’approuver la doctrine qui identifie en Dieu l’intelligence et l’intelligible, la rapporte aux anciens philosophes en même temps qu’aux Hébreux qui l’ont entrevue comme à travers un nuage. Le Dieu de Spinoza diffère sans doute de celui de Plotin sur des points [