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10 PHILOSOPHIE ANCIENNE

depuis Descartes jusqu’à M. Tannery, excellent en un sens, a un défaut analogue : il résout un autre problème que celui qui est posé. Montrer, s’il s’agit de la Dichotomie, que la somme 1 + 1/2 + 1/4… est égale à 2 ; calculer, s’il s’agit de l’Achille, le moment précis où Achille aura rejoint la tortue, c’est, comme l’a fort bien montré M. Évellin, répondre à la question quand ? alors qu’on pose la question comment ? Si on reste dans l’hypothèse, qui est celle de la divisibilité à l’infini, dans la Dichotomie on ne rencontrera jamais la limite, cela de l’aveu de tout le monde, et dans l’autre argument, la distance qui sépare Achille de la tortue, toujours décroissante, ne sera jamais nulle. Et si on introduit la limite, et avec le calcul, le discontinu, Zénon sait bien que ses arguments ne sont plus valables. On est alors en présence d’une autre thèse sur la composition du continu : et celle-ci est justiciable du troisième et du quatrième argument.

Le critique qui a le plus récemment étudié les arguments de Zénon, M. Dunan, croit devoir, contrairement à l’opinion généralement admise, séparer la Dichotomie et l’Achille. La première lui semblé à l’abri de tout reproche : le second est un sophisme. La raison qu’il donne est que, si à la vérité le mouvement est impossible dans le réel, comme l’a montré la Dichotomie, du moment qu’on accorde le mouvement d’Achille et celui de la tortue, « rien n’empêche de supposer qu’Achille possède une vitesse assez grande pour pouvoir dans le même temps, franchir d’abord la distance qui le séparait de la tortue, puis la distance qu’elle a parcourue, et même une distance beaucoup plus grande, de sorte qu’en passant, il aura mis la main sur elle » (p. 22).

Mais, pour arriver à cette conclusion, M. Dunan a admis que l’espace étant divisible à l’infini, comme le suppose manifestement l’argument, le temps était composé d’instants indivisibles en nombre fini. Or rien dans le texte n’autorise cette supposition. Tout porte à croire qu’ici comme dans la Dichotomie le temps est divisible comme l’espace. Soutenir que cette conception est exigée dès qu’on admet la réalité du mouvement d’Achille, ce serait, semble-t-il, prendre trop au sérieux l’hypothèse de Zénon, abuser d’une concession faite provisoirement, et raisonner, sinon avec trop de rigueur, au