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LES MYTHES DANS LA PHILOSOPHIE DE PLATON.

malgré leur forme mythique, la plupart des grandes théories qui viennent d’être nommées font partie intégrante du système au même titre que la théorie des Idées.

D’abord, si on élimine du Platonisme toutes ces grandes théories, que restera-t-il ? À vrai dire, la théorie des Idées et peut-être aussi celle des Idées-Nombres sont seules, on vient de le voir, à trouver grâce devant une critique trop impitoyable. Mais comment croire que Platon s’en soit tenu là, et qu’il se soit borné à poser les principes, sans chercher à en déduire les conséquences et les applications, qu’il ait renoncé à expliquer le monde, l’âme et Dieu ? Le Platonisme, ainsi réduit, ressemble vraiment trop à l’Éléatisme. Comment croire surtout que, si tel était le Platonisme véritable et authentique, Aristote et les anciens s’y soient trompés, et qu’Aristote nous parle souvent des théories du Timée sur l’âme et sur la matière en les prenant fort au sérieux ?

Il est certain que Platon blâme souvent l’interprétation des poètes telle qu’elle était pratiquée par les sophistes et qu’il se montre fort sévère pour certaines fictions poétiques. Mais, d’un autre côté, comment comprendre que lui-même se soit si souvent abandonné à sa fantaisie et qu’il ait introduit tant de fictions et de poésie dans son œuvre. Un philosophe ennemi absolu des mythes ne fait pas tant de mythes. Enfin, en lisant les mythes les plus considérables, notamment ceux du Gorgias, du Phédon, de la République, qui ont trait à la vie future, on a le sentiment très net qu’il ne s’agit pas là pour Platon d’un simple amusement. Il est impossible de n’être pas frappé du ton grave et presque religieux qu’il prend naturellement quand il s’explique sur ces grands sujets. Sans doute sa pensée est un peu incertaine et flottante, et il est facile de signaler, d’un dialogue à l’autre, de nombreuses et importantes différences de détail. Mais il semble aussi impossible de contester qu’ils ont tous une même tendance et qu’ils expriment tous une même pensée fondamentale, que Platon a pu sans doute présenter sous les formes les plus variées, mais qui, pour ce qu’elle a d’essentiel, n’a pas changé et lui tient fort à cœur.

C’est surtout à propos du Timée que se pose la question de la valeur du mythe chez Platon. Ce dialogue, en effet,