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Page:Brochard - Études de philosophie ancienne et de philosophie moderne.djvu/88

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PHILOSOPHIE ANCIENNE

quant du point de vue de la vraisemblance la formation des éléments, il la rattache à la formation des triangles indivisibles et à toute cette géométrie singulière qui sans aucun doute se relie étroitement à ses spéculations les plus hautes. Son intention apparaît ici très clairement dans le texte même qu’il faut citer (Timée, 51, D). Il vient de distinguer avec la plus grande précision l’intelligence et l’opinion vraie, « car l’une se forme par l’enseignement, l’autre par la persuasion ; l’une est toujours conforme à la droite raison, l’autre est sans raison ; l’une est inébranlable dans sa conviction, l’autre est mobile dans sa persuasion. L’opinion vraie est le partage de tous les hommes ; l’intelligence n’appartient qu’aux dieux et à un petit nombre d’hommes » ; et un peu plus loin, avant d’arriver à l’explication géométrique des éléments, il nous dit en propres termes qu’il rapproche l’un de l’autre le raisonnement scientifique, λόγος ὀρθός, et le vraisemblable, εἰϰώς (Timée, 56, B). Et c’est visiblement sa prétention, à travers tout le Timée, de rapprocher autant que possible l’explication plausible du monde des principes de sa philosophie. C’est, pourquoi il insiste à plusieurs reprises sur la théorie des Idées elle-même, et s’efforce de rattacher les causes secondaires ou adjuvantes aux causes principales, la nécessité et la matière à cette intelligence qui leur persuade de se soumettre à ses lois. C’est ainsi que dans toute l’œuvre de Platon s’unissent et se marient sans se confondre et se nuire l’une à l’autre l’explication scientifique et l’exposition mythique.

Il est peut-être intéressant de remarquer que le rôle assigné à la croyance par Platon est précisément inverse de celui que la philosophie moderne est disposée à lui donner. Pour la plupart de nos contemporains, en effet, pour ceux du moins qui veulent bien faire une place à la croyance, celle-ci est conçue comme dépassant la science et s’élevant au-dessus des phénomènes. Ce sont les plus hauts objets de la pensée humaine : Dieu, l’âme, la vie future, ceux-là même sur lesquels la science positive, limitée à la connaissance des phénomènes et de leurs lois, n’a aucune prise, qui sont l’objet propre de la croyance. La croyance est envisagée parfois comme supérieure à la science même ; pour un peu on essayerait de nous persuader qu’elle est plus certaine et plus sûre : en tout cas elle s’entend beau-