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VII

Lefrançais, le membre de la Commune, m’a souvent raconté la rencontre qu’il fit, étant proscrit, à Lausanne, d’un de ses amis stupéfait de retrouver vivant ce Lefrançais qu’il avait vu, de ses yeux, fusiller rue de la Banque, au coin de la rue Paul Lelong !…

Si bien que mon cher Lefrançais eût pu, lui aussi, intituler les Mémoires qu’il a laissés : Souvenirs d’un mort vivant[1].

Ai-je dit que l’infortunée, tuée par les soldats sous le nom de Victorine B… leur avait été signalée comme incendiaire, comme pétroleuse ?

Si l’accusation était fondée en ce qui concerne Victorine B…, je connais celle-ci, elle n’eût pas attendu trente-huit ans pour revendiquer la responsabilité de son acte.

J’ai, en Suisse également, un autre excellent ami, qui mit le feu à l’Hôtel de Ville. Il ne s’en cache pas, et je ne l’estime pas moins pour cela.

Tous les grands capitaines, tous les conquérants glorifiés, ont licence de déclarer qu’on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

La défaite de la Commune vient peut-être de ce qu’elle n’en a pas cassé de quoi nourrir ses défenseurs et leurs familles.

Ah ! l’honnêteté de ces bougres-là, n’en parlons plus, voulez-vous ? Elle leur a été assez funeste.

L’honnêteté…, dans les guerres civiles, c’est la morphine qu’on administre aux vaincus, pour calmer leur douleur de s’être laissé battre !

Paris, Décembre 1908. LUCIEN DESCAVES

  1. Gustave Lefrançais. Souvenirs d’un révolutionnaire. 1 vol. Bruxelles, 1902.