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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

encore y parvenir. Je désirais retrouver mon mari, quoiqu’on m’eût dit qu’il était mort, je supposais qu’il y avait beaucoup d’exagération dans tout ce que j’entendais raconter.

— Lorsque tu étais un enfant, me disait-elle, souviens-toi que je t’ai emmenée partout, je veux aller où tu iras, mourir où tu mourras.

Nous mettions, toutes deux, bien au-dessus de nous l’humanité, nous n’étions qu’une petite parcelle de la grande famille humaine. Tout infiniment petits que nous étions, nous pouvions encore rendre quelques services aux vaincus.

Elle insista pour m’accompagner, mais quand nous fûmes arrivées à la place de la Concorde, il ne lui fut pas permis de me suivre, il y avait des gardes nationaux fédérés qui cernaient la place.

Ils avaient l’ordre de ne laisser passer que les personnes munies de leur carte d’identité ; brusquement et involontairement, je me suis trouvée séparée de ma mère. Le cœur serré, les larmes aux yeux je me suis dirigée du côté de la manutention ; une fois seulement, je me suis retournée à son appel désespéré, je lui ai envoyé un baiser, car je ne voulais pas affaiblir son courage par la vue des larmes qui remplissaient mes yeux. Il me fallait un effort de volonté bien grand, pour voir ainsi ma mère bien aimée s’en aller seule et sans espoir.

À la manutention on ne pouvait passer, les coups de feu faisaient rage, on me força de revenir sur mes pas et à grand peine j’ai pu sortir du cercle dans lequel je