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CINQUIÈME PARTIE

nous (je crois qu’on s’habitue plus facilement à l’idée de la mort, qu’à lutter pour conserver la vie).

Notre petit groupe s’étant formé à la place de l’Hôtel de Ville où il n’y avait plus rien à faire, nous ne savions trop où diriger nos pas ; il nous était impossible de retourner en arrière, mourir pour mourir, nous n’avions qu’à marcher en avant.

Nous n’avions plus qu’un capitaine, quelques sous-officiers comme chefs, c’était tout. Ce capitaine nommé Milliet prit la direction et me remit le drapeau que nous avions gardé le 20 mai, lors de l’enterrement de nos amis, un sous officier m’accompagna et nous partîmes. Avec assez de difficultés nous arrivâmes à la Bastille. La chaleur était excessive, le ciel semblait orageux. La place était déserte et avait un aspect assez étrange, tout était silencieux, triste, on sentait que des choses graves se passaient, l’atmosphère était pleine de mystère. De temps en temps un coup de feu se faisait entendre.

Lorsque nous fûmes installés, nous allâmes nous rendre compte de la situation.

Au coin de la place Bastille et de la rue St-Antoine, il y avait une barricade ; là, nous retrouvons deux des nôtres, deux artilleurs, ils nous racontèrent ce qui s’était passé à Passy, tous deux disaient que tout le bataillon qui était dans cette place avait été fait prisonnier, et plusieurs avaient été fusillés, que mon mari était du nombre des morts.

Ils nous dirent aussi que dans la matinée on avait tiré des coups de feu sur eux, du côté de la rue Lesdiguières.