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PREMIÈRE PARTIE

compagnies de la Garde Nationale qui lui avaient été hostiles.

On avait dressé des listes de proscriptions sur lesquelles le nom de mon père figurait.

Tout une compagnie vint chez nous le demander, ma mère leur dit qu’il n’était pas là. Elle ne pouvait dire où il se trouvait. « Eh ! bien, dit un officier avec brutalité à ses hommes, cherchez dans cet appartement s’il y a des armes. Nous voulons le fusil de votre mari. »

Ma pauvre maman ne pouvait pas le leur donner puisqu’elle ne l’avait pas. Je suis restée debout, j’ai suivi cette scène avec effroi. Dès le départ des soldats je suis tombée comme foudroyée, j’ai perdu connaissance. Lorsque je suis revenue à moi, j’ai ouvert les yeux, mais j’avais perdu toutes mes facultés et je suis restée sans mouvement les yeux fixes pendant plusieurs mois. J’avais perdu également l’usage de la parole, une seule faculté me restait, l’ouïe, mais on l’ignorait. Je ne pouvais faire aucun signe pour me faire comprendre. Je regardais toujours dans le vide, les nerfs étaient affaiblis, j’avais enfin la danse de St-Guy (résultat de la peur pendant la révolution). Je suis restée malade une année environ, j’avais complétement perdu la mémoire. Je ne me souviens même pas de la présence de mon père, dans le cours de ma maladie.