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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

Lors de ma maladie, j’avais oublié tout ce que j’avais appris dans ma première enfance. Mon père résolut de me mettre en pension chez Mme Texier, laquelle tenait une institution au Mail. À ses heures libres, M. Texier nous donnait des leçons, surtout il nous apprenait à penser.

Chez eux aussi, il y avait de bonnes soirées de discussions auxquelles j’étais admise lorsque mon père était là. M. Boucher, abbé, âgé d’une quarantaine d’années, curé à l’église St-Vincent, près d’Orléans, venait aussi aux soirées de discussions. Homme sincère, bon et loyal, un vrai réformateur, il ne comprenait les discours en chaire que pour exhorter les fidèles à imiter Jésus révolutionnaire, le premier républicain du monde, disait-il. (Il faut penser qu’alors, les plus ardents, à quelques exceptions près, croyaient à cette vieille légende.) À l’église il prêchait les idées les plus subversives, disant que la chaire avait été créée non pour enseigner à prier, mais pour instruire. Si l’on voulait prier on pouvait le faire chez soi. Il finissait son prêche par ces mots : Vive la République ! Dieu la veut !

C’est ainsi qu’il termina sa dernière prédication, laquelle eut lieu le dimanche avant le coup d’État en 1851. Le lendemain ne le voyant pas venir à l’heure habituelle, M. Texier inquiet alla au presbytère pour savoir ce qui était arrivé. Là, il apprit que dans la nuit une voiture était venue le chercher, et malgré toutes les démarches faites, on n’a plus jamais entendu parler de M. Boucher. Mgr l’Évêque Dupanloup