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PREMIÈRE PARTIE

On parle bien dans l’histoire de la mort du général Bréa, mais pas des victimes du parti opposé, c’est trop peu de chose ; pourtant ce trop peu de chose, c’est la force, la puissance d’un pays, c’est cette foule anonyme qui suggère la pensée et enfante le génie. Quelque éphémère que soit un gouvernement, son premier mouvement n’est jamais la clémence, mais d’enrôler des légions d’hommes qui tuent, pour affermir son pouvoir. Livré à ses propres forces, sans l’armée, un gouvernement serait bien peu de chose.

Le faubourg St-Antoine paraissant imprenable, on résolut de le bombarder. La place de la Bastille se couvrit de canons. — Quelle affreuse boucherie !…

Ce triste jour, l’archevêque de Paris espérant que sa présence calmerait les esprits, vint dans la mêlée pour exhorter le peuple à l’apaisement, il fut atteint dans le dos par une balle perdue, sa mort fut involontaire ; ne s’étant jamais mêlé de politique, il était vénéré de tous les partis, il mourut dans la soirée du même jour, le 25 juin 1848. Pour la circonstance, on fit trêve.

L’entrée du faubourg St-Antoine fut forcée, les insurgés vaincus, durent mettre bas les armes, il y eut plusieurs milliers de prisonniers, un grand nombre d’entre eux furent déportés. Les hôpitaux étaient encombrés de blessés, et la place de la Bastille, la rue du faubourg St-Antoine étaient jonchées de cadavres.

Mon père était parti dans la mêlée avec ses amis les Polonais, qui vivaient chez nous depuis leur émigration. (Nous n’avons jamais revu ceux-ci, et nous pensons qu’ils auront été tués).