Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/19

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accompagnée d’une différence de nature. Les lumières ont fait évanouir ce préjugé.

Il existe de nos jours une école qui veut réduire toute religion, toute croyance au surnaturel, toute croyance en Dieu, parmi les préjugés. Cette même école, par une conséquence logique de son principe, travaille à abolir ces croyances. De même, dès l’instant que l’idée d’obligation ne sera considérée que comme un préjugé résultant d’association d’idées créées par hérédité, cette idée devra promptement disparaître des esprits. Plus la science se répandra, plus la notion du devoir s’affaiblira ; plus surtout la doctrine de l’évolution sera propagée, plus l’ordre d’idées que nous venons d’exposer sera répandu, plus la croyance à la morale absolue tendra à s évanouir. Cela arrivera probablement avec une rapidité plus grande que ce qui se passe à l’égard des autres préjugés.

Les autres croyances populaires que la science a fait disparaître sont, en effet, plus ou moins conformes aux désirs de l’homme et à ses passions. L’homme est superstitieux ; il a peine à renoncer aux chimères dont il repaît son imagination. L’homme est religieux ; les émotions pieuses, la foi à l’immortalité, répondent à des besoins de son cœur, il est difficile de les lui arracher. Mais la morale est une chaîne, le devoir est un maître austère et rigoureux. Celui qui travaille à le détruire a pour lui la complicité des passions et des lâchetés du cœur humain. Il y a donc toute vraisemblance que ceux qui prêcheront que la morale est une illusion prêcheront avec succès. Et si cette doctrine, si agréable à la nature, se trouvait être une doctrine scientifiquement vraie, qui pourrait douter de son triomphe prochain ?

La disparition complète de toute idée du devoir, la destruction de tous les préjugés moraux, telle est donc la conséquence inévitable et prochaine de la propagation de la morale évolutioniste. Mais quand on en sera là, quand cette destruction sera achevée, qu’arrivera-t-il ? Que deviendra l’homme ainsi dépouillé de sa règle de vie ? Que deviendra la société privée de ce frein qu’elle a, nous dit-on, créé pour sa propre défense ? À cette grave et solennelle question, on ne peut faire que l’une des trois réponses suivantes :

Ou bien l’idée du devoir sera remplacée par quelque idée équivalente, la morale de l’absolu cédera la place à une nouvelle morale qui jouera le même rôle ; Ou bien la société pourra vivre sans aucune espèce de principes moraux ;

Ou bien la société, incapable de remplacer l’idée du devoir et incapable de s’en passer, s’écroulera elle-même, et l’humanité retombera dans l’état primitif de barbarie, dans lequel, selon nos auteurs