Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/28

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l’héroïsme, la vertu, le sacrifice, toutes ces illusions que la science avaient détruites, fleuriront de nouveau sur le sol renouvelé de l’humanité. Les sociétés civilisées renaîtront et se développeront jusqu’au jour fatal où un docteur imprudent, révélant aux hommes le funeste secret, détruira de nouveau le fondement illusoire de l’état social.

L’antiquité semble avoir deviné cette histoire et l’avoir représentée dans la fable de Psyché. Le bonheur de Psyché cesse dès l’instant où elle a eu l’imprudence de chercher à voir son divin époux. De même, la société humaine doit s’écrouler du jour ou elle a découvert dans sa vraie nature le principe mystérieux qui sert de lien entre ses membres.

Telle est donc la doctrine évolutioniste appliquée au passé et à l’avenir de la morale. Mais en exposant cette doctrine, je n’ai rempli qu’une partie de ma tâche. J’ai montré qu’elle est odieuse, révoltante, brutale, antisociale, il me reste à vous montrer qu’elle est fausse. J’ai montré que la science, au nom de laquelle on veut détruire les antiques croyances, est funeste et dangereuse. Il me reste à montrer que ce n’est pas une science, mais un amas d’erreurs, et que cette théorie est contraire à l’évidence historique et scientifique comme elle l’est déjà, sans aucun doute, à l’évidence de la conscience. J’ai montré que le même lien qui existe entre la religion et la morale existe également entre la morale et la civilisation, que ces trois choses, croyance religieuse, idée du devoir, société civilisée, sont étroitement unies et périraient ensemble si une des deux premières était détruite. Il me reste à montrer que ces trois choses ne sont pas l’œuvre éphémère et contingente du hasard gouvernant une évolution inconsciente, mais l’œuvre éternelle du Dieu qui a créé chaque être, qui lui a donné sa nature, et qui, selon l’expression admirable d’un des pères de la poésie grecque, Hésiode, a « ordonné aux animaux de s’entr’aider, mais a donné aux hommes, et aux hommes seuls, le sentiment de la justice, qui est bien préférable ».

Cette démonstration se partage naturellement en deux parties : dans la première, je discuterai le système de l’évolution en tant qu’il enseigne que l’homme sort de l’animal et que la morale est le produit des instincts sociaux. Dans la seconde, j’examinerai les arguments que les évolutionnistes peuvent tirer de l’état primitif de l’humanité et des variations des notions morales dans l’histoire, et j’essayerai de substituer à leurs hypothèses une théorie plus conforme aux faits sur l’origine, le développement et l’avenir des idées morales dans l’humanité.

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