Page:Broglie - La morale évolutioniste.djvu/49

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deux mondes. Il distingua la nature animale, avec sa connaissance étroite tirée tout entière des sens et renfermée dans leur horizon, et la nature rationnelle de l’homme, par laquelle il communique avec l’intelligence suprême. Ainsi furent retrouvés à la foi les titres de la conscience et ceux de la nature humaine. Nous retrouvons ces nobles doctrines dans les successeurs de ces philosophes. Elles y sont mêlées à beaucoup d’erreurs, mais leur fond noble et glorieux subsiste sans être détruit.

Cicéron, dans son Traité des lois, nous décrit la société de tous les peuples, liée par le langage humain. Il nous montre l’humanité séparée, par cette barrière de la parole, des êtres inférieurs, et formant avec les dieux une société dont le langage est le lien extérieur, et la justice éternelle le principe intime d’union. L’école stoïcienne conserva ces doctrines, les mit glorieusement en pratique, et défendit les droits de la conscience jusqu’aux jours où les martyrs chrétiens sont venus les proclamer avec une plus haute et plus efficace autorité.

Ce qu’a fait la philosophie païenne avec les seules forces de la raison, serait-il devenu impossible maintenant que la lumière de l’Évangile est venue compléter et purifier les enseignements de la philosophie et leur donner la garantie d’une parole divine ? Vainement dira-t-on que nous ne sommes plus en face des sophistes d’Athènes, mais de véritables doctrines scientifiques. À cette objection nous avons deux réponses. En premier lieu, nous ne voyons pas pourquoi on donnerait aux sciences naturelles le pas sur les sciences morales, surtout en ce qui concerne l’origine même de l’idée du devoir. L’observation interne des faits de conscience, l’analyse des idées de devoir, de justice, de sanction, sont des sources de connaissances équivalentes à toutes les autres. Il n’appartient pas aux sciences physiques de les contredire dans leur affirmation claire et évidente, et encore moins de les supprimer par voix de prétérition. En second lieu, il faut distinguer entre les résultats acquis des sciences et les théories hypothétiques destinées à les coordonner. Autant les faits constatés et les lois vérifiées s’imposent à notre croyance, autant nous sommes libres à l’égard des hypothèses et des théories. Or le système de l’évolution graduelle est une théorie. C’est une synthèse hypothétique qui ne diffère des anciennes synthèses, de celles de Thalès et d’Anaximène, que parce qu’elle est destinée a encadrer un plus grand nombre de faits connus. Le principal argument en faveur de l’évolution continue et graduelle se tire de l’unité de plan de la nature. Tous les êtres vivants, ou du moins tous les animaux, seraient composés d’éléments semblables ; les organes des êtres supérieurs se trouveraient à l’état rudimentaire