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L’ÉTAT MORAL PRIMITIF DE L’HUMANITÉ ET LES PROGRÈS DE LA MORALE

L’homme étant distinct de l’animal et possédant des facultés supérieures dont le langage et la grammaire sont le signe et l’organe, les sociétés humaines gouvernées par la raison et les sentiments moraux, étant tout à fait différentes des associations formées chez les animaux par des instincts aveugles, il n’y a pas lieu de chercher chez les animaux les origines des principes de morale qui existent chez les hommes. La théorie de l’évolution appliquée à la morale s’écroule de toutes parts ; elle n’est fondée sur aucune raison sérieuse, et les explications qu’elle fournit ne rendent nullement compte des phénomènes dont elle prétend découvrir la cause.

Mais nos adversaires, vaincus sur le terrain des principes et condamnés par l’examen comparatif de la nature de l’homme et de celle de l’animal, se rejettent sur l’histoire de l’humanité et prétendent trouver, dans ce que la science nous apprend sur la haute antiquité de l’homme, la confirmation de leurs théories. Cette évolution que vous déclarez impossible, nous disent-ils, elle a existé. L’homme a commencé par être sauvage, c’est-à-dire dépourvu de moralité, et quant à ce qui concerne le cœur et la conscience, semblable à l’animal. Les premiers hommes n’avaient aucune idée du bien et du mal, ils ne suivaient que leurs instincts et leurs passions ; les lois naturelles les plus sacrées pour nous leur étaient inconnues. Inconnue des premiers hommes, la loi morale, que nous voyons se développer graduellement et devenir de siècle en siècle plus pure et plus belle, ne saurait être que l’œuvre des sociétés humaines. Tel est l’argument auquel je vais essayer de répondre.

I

Avant de discuter les faits sur lesquels repose cette argumentation, il importe de bien considérer la valeur de la démonstration elle-même. Supposons pour un instant qu’il soit avéré que les hommes primitifs étaient absolument dépourvus de moralité et ne se sont développés que graduellement, serait-on en droit de tirer de ce fait la conclusion que soutiennent les évolutionistes ? Serait-on en droit de dire que la morale est l’œuvre de la société et que, par conséquent, elle est relative et contingente ? Nullement. Si, en effet, les premiers hommes, dans l’hypothèse que nous admettons, ne