Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/125

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à ravir, dans la pensée qu’on lui exprimait, l’achevait au besoin, y plaçait son mot à propos. Ses grands yeux pénétrants la saisissaient au passage. Sa figure noble et fine la reflétait dans ses moindres nuances. L’empereur trouvait en lui à qui parler et à qui parler de tout ; il trouvait un approbateur sincère et éclairé de ses vues, qui non seulement les comprenait, mais les reproduisait dans un langage élevé et délicat ; un adversaire naturel de ce qu’il détestait le plus à cette époque, les jacobins et les idéologues ; son génie se trouvait là, pour la première fois peut-être, en bonne compagnie, s’il est permis de parler ainsi, et s’y plaisait ne fût-ce que pour la nouveauté même de la chose.

Aussi M. Molé franchit-il au pas de course tous les degrés : il devint, coup sur coup, auditeur, maître des requêtes, préfet de Dijon, conseiller d’État, directeur général des ponts et chaussées, le tout en moins de trois ans.

Son mérite n’était peut-être pas au niveau de cet avancement sans exemple, mais son mérite était réel. Surpris par la Révolution, s’il n’avait pas fait de fortes études, son esprit était cultivé, il avait lu nos bons auteurs avec goût et avec profit. Sans être laborieux, il était apte aux affaires ; son jugement