Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/331

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la violence à des gens qui s’y livraient volontiers de leur plein gré.

L’événement ne tarda pas à justifier ma prévoyance. Avant même que les élections fussent terminées, M. de Talleyrand avait déjà jeté son confrère à l’eau. On raconte que Carnot, porté sur la liste des bannis, ayant été trouver Fouché, lui dit avec une humeur bourrue :

Où veux-tu que j’aille, traître ?

Où tu voudras, imbécile ! lui répondit son ancien collègue du comité du salut public.

Le traître alla bientôt rejoindre l’imbécile. On lui proposa d’abord la mission des États-Unis, qu’il refusa ; puis il fut tout heureux et tout aise, comme le héron de la fable, de se contenter de celle de Dresde ; puis il sortit de France, à peu près déguisé, pour éviter qu’on ne lui jetât de la boue, à son passage dans certaines villes ; puis enfin il se retira à Grætz, où ce monstre vieux et hideux mourut bientôt après, dans les bras d’une jeune personne, belle et de grande maison, dont le royalisme s’était épris de lui, dans ce court intervalle de sottise ou la contre-révolution en raffolait, où M. le comte d’Artois et le duc de Wellington le portaient dans leurs bras, aux pieds goutteux de Louis XVIII.