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emparée de moi. Cependant l’événement me prouva que j’étais folle d’avoir été même étonnée.

Je vis s’ouvrir la porte la plus proche de moi, et une servante en sortit. C’était une femme de trente ou quarante ans. Elle avait les épaules carrées, les cheveux rouges et la figure laide et dure.

« Voilà trop de bruit, Grace, dit Mme Fairfax ; rappelez-vous les ordres que vous avez reçus. »

Grace salua silencieusement et rentra.

« C’est une personne que nous avons pour coudre et aider Leah, continua la veuve. Elle n’est certes pas irréprochable, mais enfin elle fait bien son ouvrage. À propos, qu’avez-vous fait de votre jeune élève, ce matin ? »

La conversation ainsi tournée sur Adèle, nous continuâmes, et bientôt nous atteignîmes les pièces gaies et lumineuses d’en bas. Adèle vint au-devant de nous en nous criant :

« Mesdames, vous êtes servies. » Puis elle ajouta : « J’ai bien faim, moi ! »

Le dîner était prêt et nous attendait dans la chambre de Mme Fairfax.




CHAPITRE XII.


La manière calme et douce dont j’avais été reçue à Thornfield semblait m’annoncer une existence facile, et cette espérance fut loin d’être déçue lorsque je connus mieux le château et ses habitants : Mme Fairfax était en effet ce qu’elle m’avait paru tout d’abord, une femme douce, complaisante, suffisamment instruite, et d’une intelligence ordinaire. Mon élève était une enfant pleine de vivacité. Comme on l’avait beaucoup gâtée, elle était quelquefois capricieuse. Heureusement elle était entièrement confiée à mes soins, et personne ne s’opposait à mes plans d’éducation, de sorte qu’elle renonça bientôt à ses petits accès d’entêtement, et devint docile. Elle n’avait aucune aptitude particulière, aucun trait de caractère, aucun développement de sentiment ou de goût qui pût l’élever d’un pouce au-dessus des autres enfants ; mais elle n’avait aucun défaut qui pût la rendre inférieure à la plupart d’entre eux ; elle faisait des progrès raisonnables et avait pour moi une affection vive, sinon très profonde. Ses