Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/151

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À ce moment, Adèle vint se jeter dans ses jambes avec son volant.

« Éloigne-toi d’ici, enfant, s’écria-t-il durement, ou va jouer avec Sophie ! »

Puis il continua à marcher en silence. Je hasardai de le rappeler au sujet dont il s’était écarté.

« Avez-vous quitté le balcon lorsque Mlle Varens entra ? » lui demandai-je.

Je m’attendais presque à une rebuffade pour cette question intempestive ; mais, au contraire, sortant de sa rêverie, il tourna les yeux vers moi, et son front sembla s’éclaircir.

« Oh ! j’avais oublié Céline, me dit-il. Eh bien, lorsque je vis ma magicienne escortée d’un cavalier, le vieux serpent de la jalousie se glissa en sifflant sous mon gilet et en un instant m’eut percé le cœur. Il est étrange, s’écria-t-il en s’interrompant de nouveau, il est étrange que je vous choisisse pour confidente de tout ceci, jeune fille ; il est plus étrange encore que vous m’écoutiez tranquillement, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde qu’un homme tel que moi racontât l’histoire de ses maîtresses à une jeune fille simple et inexpérimentée comme vous ; mais cette dernière singularité explique la première : avec cet air grave, prudent et sage, vous avez bien la tournure d’une confidente ; d’ailleurs je sais avec quel esprit mon esprit est entré en communion ; c’est un esprit à part et sur lequel la contagion du mal ne peut rien. Heureusement je ne veux pas lui nuire, car, si je le voulais, je ne le pourrais pas ; nos conversations sont bonnes ; je ne puis pas vous souiller, et vous me purifiez. »

Après cette digression, il continua :

« Je restai sur le balcon. Ils viendront sans doute dans le boudoir, pensai-je ; préparons une embuscade. Passant ma main à travers la fenêtre ouverte, je tirai le rideau ; je laissai seulement une petite ouverture pour faire mes observations, je refermai aussi la persienne en ménageant une fente par laquelle pouvaient m’arriver les paroles étouffées des amoureux, puis je me rassis au moment où le couple entrait. Mon œil était fixé sur l’ouverture ; la femme de chambre de Céline alluma une lampe et se retira ; je vis alors les amants. Ils déposèrent leurs manteaux ; Céline m’apparut brillante de satin et de bijoux, mes dons sans doute ; son compagnon portait l’uniforme d’officier, je le reconnus : c’était le vicomte ***, jeune homme vicieux et sans cervelle que j’avais quelquefois rencontré dans le monde ; je n’avais jamais songé à le haïr, tant il me semblait méprisable. En le reconnaissant, ma jalousie cessa ; mais aussi mon amour pour Céline s’éteignit ; une femme qui pouvait me trahir pour un tel