Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/184

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l’un de l’autre, ou du moins Théodore et moi nous le supposâmes ; nous avions surpris de tendres regards, des soupirs que nous avions interprétés comme des marques certaines de cette belle passion ; et je vous assure que bientôt le public fut au courant de notre découverte. Ce fut un moyen de se débarrasser de ce boulet que nous traînions à nos pieds ; dès que maman sut ce qui se passait, elle déclara que c’était immoral ; n’est-ce pas, maman ?

— Oui, ma chérie, et ce n’était pas à tort. Il y a mille raisons qui font que, dans une maison bien dirigée, on ne doit jamais laisser naître d’affection entre une gouvernante et un précepteur. D’abord…

— Oh ! ma gracieuse mère, épargnez-nous cette énumération ; au reste, nous la connaissons tous : mauvais exemple pour l’innocence des enfants ; négligence continuelle dans les devoirs de la gouvernante et du précepteur ; alliance et confiance mutuelles ; confidences qui en résultent ; insolence inévitable à l’égard des maîtres ; révolte et insurrection générale. Ai-je raison, baronne Ingram de Ingram-Park ?

— Oui, mon beau lis, vous avez raison comme toujours.

— Alors, il est inutile d’en parler plus longtemps ; changeons de conversation. »

Amy Eshton n’entendit pas cette phrase ou ne voulut pas y faire attention, car elle s’écria de sa voix douce et enfantine :

« Louisa et moi, nous avions aussi l’habitude de tourmenter notre gouvernante ; mais elle était si bonne qu’elle supportait tout ; rien ne l’irritait ; jamais elle ne se fâchait, n’est-ce pas, Louisa ?

— Oh ! non ! nous avions beau renverser son pupitre, sa boîte à ouvrage, mettre ses tiroirs en désordre, elle ne nous en voulait jamais ; elle était si bonne qu’elle nous donnait tout ce que nous lui demandions.

— Est-ce que par hasard, dit Mlle Ingram en mordant sa lèvre ironique, nous allons être obligés d’entendre le résumé de toutes les vertus des gouvernantes ? Pour éviter cet ennui, je demande de nouveau qu’on change de conversation. Monsieur Rochester, approuvez-vous ma pétition ?

— Oui, madame, je vous approuve en ceci, comme en tous points.

— Alors, c’est à moi de la faire exécuter. Signor Eduardo, êtes-vous en voix aujourd’hui ?

— Oui, si vous me le commandez, donna Bianca.

— Alors, signor, mon altesse vous ordonne de préparer