Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Elle a sucé le sang, répondit Mason ; elle prétendait qu’elle voulait retirer tout le sang de mon cœur. »

Je vis M. Rochester frissonner ; une forte expression de dégoût, d’horreur et de haine, contracta son visage, mais il se contenta de dire :

« Taisez-vous, Richard ; oubliez ce qu’elle a fait et n’en parlez jamais.

— Je voudrais pouvoir oublier, répondit-il.

— Vous oublierez quand vous aurez quitté ce pays, quand vous serez de retour aux Indes Occidentales ; vous supposerez qu’elle est morte, ou plutôt vous ferez mieux de ne pas penser du tout à elle.

— Impossible d’oublier cette nuit !

— Non, ce n’est point impossible. Ayez un peu d’énergie ; il y a deux heures vous vous croyiez mort, et maintenant vous êtes vivant et vous parlez. Carter a fini avec vous, ou du moins à peu près, et dans un instant vous allez être habillé. Jane, me dit-il en se tournant vers moi pour la première fois depuis son arrivée, prenez cette clef, allez dans ma chambre, ouvrez le tiroir du haut de ma commode, prenez-y une chemise propre et une cravate ; apportez-les et dépêchez-vous. »

Je partis ; je cherchai le meuble qu’il m’avait indiqué ; j’y trouvai ce qu’il me demandait et je l’apportai.

« Maintenant, allez de l’autre côté du lit pendant que je vais l’habiller, me dit M. Rochester ; mais ne quittez pas la chambre ; nous pourrons avoir encore besoin de vous. »

J’obéis.

« Avez-vous entendu du bruit lorsque vous êtes descendue, Jane ? demanda M. Rochester.

— Non, monsieur ; tout était tranquille.

— Il faudra bientôt partir, Dick ; cela vaudra mieux, tant pour votre sûreté que pour celle de cette pauvre créature qui est enfermée là. J’ai lutté longtemps pour que rien ne fût connu, et je ne voudrais pas voir tous mes efforts rendus vains. Carter, aidez-le à mettre son gilet. Où avez-vous laissé votre manteau doublé de fourrure ? je sais que vous ne pouvez pas faire un mille sans l’avoir dans notre froid climat. Il est dans votre chambre. Jane, descendez dans la chambre de M. Mason, celle qui est à côté de la mienne, et apportez le manteau que vous y trouverez. »

Je courus de nouveau, et je revins bientôt, portant un énorme manteau garni de fourrure.

« Maintenant j’ai encore une commission à vous faire faire,