Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/41

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infligée parce que j’avais été frappée, jetée à terre par votre misérable fils. Je dirai l’exacte vérité à tous ceux qui me questionneront. On croit que vous êtes bonne ; mais votre cœur est dur et vous êtes dissimulée. »

Quand j’eus cessé de parler, le plus étrange sentiment de triomphe que j’aie jamais éprouvé s’était emparé de mon âme. Je crus qu’une chaîne invisible s’était brisée et que je venais de conquérir une liberté inespérée.

Je pouvais le croire en effet, car Mme Reed semblait effrayée ; son ouvrage avait glissé de ses genoux, elle levait les mains, paraissait agitée, et à sa figure contractée on eût dit qu’elle allait pleurer.

« Jane, me dit-elle, vous vous trompez. Qu’avez-vous ? pourquoi tremblez-vous si fort ? Voulez-vous boire un peu d’eau ?

— Non, madame Reed.

— Souhaitez-vous quelque autre chose, Jane ? Je vous assure que je désire être votre amie.

— Non ; vous prétendiez tout à l’heure, devant M. Brockelhurst, que j’avais un mauvais caractère et que j’étais une menteuse ; mais tout le monde saura votre conduite à Lowood.

— Jane, ce sont là des choses que vous ne comprenez pas ; il faut bien corriger les enfants de leurs défauts.

— Le mensonge n’est pas mon défaut, m’écriai-je d’une voix sauvage.

— Avouez, Jane, que vous êtes en colère, et maintenant retournez dans votre chambre, ma chère enfant, et couchez-vous un peu.

— Je ne suis pas votre chère enfant, et ne puis pas me coucher. Envoyez-moi en pension aussitôt que vous le pourrez, madame Reed, car je déteste cette maison.

— Oh ! oui, je t’y enverrai aussitôt que possible, » murmura Mme Reed en ramassant son ouvrage ; puis elle quitta vivement la chambre.

On m’avait laissée seule, maîtresse du terrain ; c’était ma plus rude bataille, ma première victoire : je restai un moment à la place où s’était assis M. Brockelhurst, jouissant de ma solitude conquise. D’abord je me souris à moi-même, et je sentis mon être se dilater ; mais ce farouche plaisir cessa aussi vite que les battements accélérés de mon pouls : un enfant ne peut pas discuter avec ses supérieurs ainsi que je l’avais fait, il ne peut pas donner un libre cours à ses sentiments de rage, sans éprouver ensuite les douleurs du remords et la glace du repentir. Quand