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— Je ne vous déteste pas, mademoiselle ; je crois vous aimer encore plus que les autres.

— Vous ne me le montrez pas.

— Intraitable petite fille, voilà une nouvelle façon de parler ; qui donc vous a rendue si hardie ?

— Bientôt je serai loin de vous, Bessie, et d’ailleurs… »

J’allais parler de ce qui s’était passé entre moi et Mme Reed ; mais à la réflexion, je pensai qu’il valait mieux garder le silence sur ce sujet.

« Et alors vous êtes contente de me quitter ?

— Non, Bessie, non, en vérité ; et même dans ce moment je commence à en être un peu triste.

— Dans ce moment, et un peu ! comme vous dites cela froidement, ma petite demoiselle ! Je suis sûre que, si je vous demandais de m’embrasser, vous me refuseriez.

— Oh non, je veux vous embrasser, et ce sera un plaisir pour moi ; baissez un peu votre tête. »

Bessie s’inclina, et nous nous embrassâmes ; puis, étant tout à fait remise, je la suivis à la maison.

L’après-midi se passa dans la paix et l’harmonie. Le soir, Bessie me conta ses histoires les plus attrayantes et me chanta ses chants les plus doux. Même pour moi, la vie avait ses rayons de soleil.




CHAPITRE V.


On était au matin du 19 janvier ; cinq heures venaient de sonner au moment où Bessie entra avec une chandelle dans mon petit cabinet. J’étais debout et presque entièrement habillée. Levée depuis une demi-heure, je m’étais lavé la figure, et j’avais mis mes vêtements à la pâle lumière de la lune, dont les rayons perçaient l’étroite fenêtre de mon réduit. Je devais quitter Gateshead ce jour même et prendre, à six heures, la voiture qui passait devant la loge du portier.

Bessie seule était levée ; après avoir allumé le feu, elle commença à faire chauffer mon déjeuner. Les enfants mangent rarement lorsqu’ils sont excités par la pensée d’un voyage.

Quant à moi, je ne pus rien prendre. Ce fut en vain que Bessie me pria d’avaler une ou deux cuillerées de la soupe au