Page:Brontë - Jane Eyre, I.djvu/72

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ma rougeur disparaître. L’épreuve ne pouvait plus être évitée ; j’étais décidée à la supporter avec courage.

« Mes chères enfants, continua le ministre, c’est une bien malheureuse et bien triste chose, et il est de mon devoir de vous en avertir : cette petite fille, qui aurait dû être un des agneaux de Dieu, est une réprouvée ; loin de demeurer membre du troupeau fidèle, ce n’est plus qu’une étrangère ; soyez sur vos gardes, défiez-vous de son exemple ; s’il est nécessaire, évitez sa compagnie, éloignez-la de vos jeux, ne l’introduisez pas dans vos conversations. Et vous, maîtresses, ayez les yeux sur tous ses mouvements, pesez ses paroles, examinez ses actes, châtiez son corps afin de sauver son âme, si toutefois la chose est possible ; car cette enfant, ma langue hésite à le dire, cette enfant, née dans un pays chrétien, est pire que les idolâtres qui adressent leurs prières à Brama ou s’agenouillent devant Jagernau ; cette enfant est une menteuse ! »

Il s’arrêta encore une dizaine de minutes, pendant lesquelles, étant en parfaite possession de moi-même, je pus voir sa femme et ses filles tirer des mouchoirs de leurs poches et les porter à leurs yeux. La plus âgée de ces dames inclinait sa tête à droite et à gauche ; quant aux plus jeunes, elles murmuraient sans cesse : « Quelle honte ! »

M. Brockelhurst s’écria pour finir :

« Toutes ces choses, je les ai apprises de sa bienfaitrice, de cette pieuse et charitable dame qui l’a adoptée alors qu’elle était une orpheline, qui l’a élevée avec ses propres filles ; et cette malheureuse enfant a payé sa bonté et sa générosité par une ingratitude si grande, que l’excellente Mme Reed a été forcée de séparer Jeanne de ses enfants, dans la crainte de voir son exemple entacher leur pureté. Elle l’a envoyée ici pour la guérir, comme les Juifs envoyaient leurs malades au lac de Bethséda. Directrice, maîtresses, je vous le demande encore, ne laissez pas les eaux croupir autour d’elle ! »

Après cette sublime conclusion, M. Brockelhurst attacha le dernier bouton de son pardessus et dit quelque chose tout bas à sa famille. Celle-ci se leva, salua Mlle Temple et quitta cérémonieusement la salle d’étude. Arrivé à la porte, mon juge se retourna et dit :

« Laissez-la encore une demi-heure sur cette chaise, et que personne ne lui parle pendant le reste du jour. »

J’étais donc assise là-haut. Moi qui avais déclaré ne jamais pouvoir supporter la honte d’être debout au milieu de la salle, je me trouvais maintenant exposée à tous les regards sur ce piédes-